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NOTE DE PLAIDOYER A L’INTENTION DE SON EXCELLENCE MONSIEUR LE GOUVERNEUR DE LA PROVINCE DU NORD-KIVU SUR LA PROBLEMATIQUE DE L’INSECURITE ET DE LA RECRUDESCENCE DE LA VIOLENCE EN VILLE DE GOMA.
- INTRODUCTION
La Commission Justice, Paix et Sauvegarde de la Création, JPSC en sigle est l’un des services de
la Communauté Baptiste de l’Afrique (CBCA) dont la mission est de promouvoir la culture de la paix, les
droits humains et la protection de l’environnement. Elle intervient également dans la promotion de la
gouvernance locale en renforçant la participation de la population à la gestion de la chose publique. En
rapport avec la mission prophétique de l’Eglise, celle de promouvoir la justice sociale, la CBCA vise à
accompagner les autorités publiques pour l’émergence d’une société qui promeut les droits humains et le
bien-être pour tous sans aucune discrimination. C’est dans ce cadre que ce plaidoyer est adressé à
l’autorité provinciale et vise à obtenir au profit de la population de Goma l’amélioration des conditions
sécuritaires et la réduction de la violence au sein de la ville. En effet, il sied de souligner que
l’épanouissement économique et l’amélioration du social sont tributaires à l’instauration de la sécurité et de
la tranquillité publique.
- CONTEXTE GENERAL
Chef-lieu de la Province du Nord-Kivu, la Ville de Goma est le siège des institutions provinciales
depuis le découpage du Kivu en trois provinces en 1988. La délimitation administrative de la ville de Goma
se présente de la manière ci-après : A l’Est se trouve la République du Rwanda, à l’Ouest le Parc national
des Virunga, au Nord le Volcan Nyiragongo et le territoire de Nyiragongo, au Sud le lac Kivu. C’est en
raison de cette situation géographique que son développement a ainsi pris la forme d’une bande urbanisée
horizontale longeant les rives du lac Kivu en direction de Masisi. Aussi, pour raison de sa situation
stratégique, son attribut de ville touristique, son histoire vécue pendant les différentes guerres, l’afflux
d’échanges transfrontaliers et son aéroport international, la ville de Goma est devenue une plaque
tournante majeure sur le plan politique et économique au sein de la région des Grands Lacs.
Soulignons que l’histoire de la ville de Goma est marquée par la récurrence de l’insécurité et de la
violence. En 1994, l’afflux massif des réfugiés rwandais déverse à l’Est de la RD Congo environ un million
de personnes parmi lesquelles celles détenant des armes. La majorité d’entre elles se sont installées dans
des camps de réfugiés autour de Goma. Ces camps ont été le théâtre d’une catastrophe humanitaire
profonde et le point de départ d’une militarisation et d’une violence à grande échelle. Cette situation a
déstabilisé la ville pendant plusieurs mois.
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En 1996-1997, la ville de Goma est devenue l’un des principaux centres militaires de l’AFDL, mouvement
qui a chassé le Président MOBUTU du pouvoir en Mai 1997. Rappelons que les troupes de l’AFDL ont
violemment démantelé les camps des réfugiés autour de Goma entraînant ainsi une hausse des tensions et
de violence dans la ville. En 1998-2003, Goma est devenue la capitale de la rébellion du RCD pendant la
deuxième guerre du Congo qualifiée de première guerre internationale africaine. Soulignons que pendant
cette période la ville était placée sous le contrôle d’une élite militaro-économique. En dépit de la conclusion
des accords de paix signés en 2002, Goma revivra les affres de la guerre quelques années plus tard. Entre
2008 et 2013, la Ville de Goma a successivement été l’objet d’attaque du Congrès National pour la Défense
du Peuple (CNDP) et du Mouvement du 23 Mars (M23). Pendant cette période, la ville fonctionnait comme
une base de recrutement où les dirigeants rebelles pouvaient circuler librement et investir dans l’immobilier
et les autres secteurs de l’économie. Soulignons qu’en Novembre 2012, le M23 a réussi à occuper la Ville
pendant une brève période. Pendant environ 10 jours, les habitants de la ville ont été victimes des pillages
et d’exécutions. Les guerres récurrentes en Province du Nord-Kivu ont donc été une cause majeure de
l’insécurité et de la violence urbaine en ville de Goma par la militarisation, la prolifération d’armes à feu que
les réseaux criminels n’auraient aucune difficulté de se ravitailler. Dans le contexte urbain congolais,
d’autres éléments peuvent également en être la cause notamment le chômage, la pauvreté, l’impunité, le
dysfonctionnement des forces de sécurité, etc. Soulignons qu’au cours de l’année 2019, la dynamique du
phénomène d’insécurité a atteint son paroxysme avec une prolifération des kidnappings (enlèvements) dont
les victimes sont libérées moyennant versement des rançons via les réseaux de télécommunication, des
assassinats et des vols armés orchestrés par des groupes de 20 à 40 voleurs utilisant des véhicules pour
transporter tous les biens volés. Cette nouvelle forme de criminalité a particulièrement été observée dans
les quartiers Mabanga-Nord, Mabanga-Sud, Kasika, Majengo, Katoyi, Murara et Kyeshero. Ces groupes
des voleurs ont opéré dans plusieurs ménages sans être inquiétés par les forces de l’ordre chargées de la
patrouille. Notons que ces actes de vandalisme ont déclenché la colère de la population et des
manifestations sur les artères publiques de la ville de Goma.
Cependant, il faut mentionner que les autorités politico-militaires provinciales ne ménagent aucun effort en
vue d’assurer la sécurité de paisibles citoyens en démantelant les bandes des criminels qui opèrent dans la
ville. A titre illustratif, le commissariat provincial de la Police nationale congolaise (PNC) au Nord-Kivu a
présenté le vendredi 20 décembre 2019 à Goma, soixante-quatre présumés bandits aux autorités
provinciales. Ces présumés criminels ont été interceptés pendant la semaine dans différents quartiers de la
ville. Ces derniers figurent parmi ceux qui insécurisent la ville de Goma. Parmi ces criminels, il a été
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dénombré 51 hommes et 13 femmes. Association de malfaiteurs, détention illégale d’armes de guerre, vol
qualifié, incendie criminel et meurtre telles sont les infractions qui ont été portées à leur charge. Une autre
action à encourager est l’effort fourni par les forces de sécurité en étroite collaboration avec le Procureur de
la République pour retrouver le dimanche 5 janvier 2020 un enfant de 3 ans kidnappé il y a 20 jours. Ces
efforts qui s’inscrivent dans le cadre de résorber l’insécurité et la violence dans la ville sont
sincèrement à féliciter. De pareils efforts doivent donc toujours être consentis de façon régulière afin que
les habitants de la ville vivent dans la tranquillité et vaquent paisiblement à leurs occupations.
En dépit de ce qui précède, les défis particuliers à relever, auxquelles il faut des solutions idoines pour
mettre fin à l’insécurité en ville de Goma, sont multiples.
III. LES DEFIS PARTICULIERS
La liste n’étant pas exhaustive, notons les défis particuliers ci-après :
- L’insuffisance des moyens permettant la mobilité rapide des forces étatiques chargées
d’assurer la sécurité : La ville de Goma possède moins de cinq voitures 4×4 pour la police et deux
autres pour la police militaire alors qu’elle abrite actuellement plus d’un million d’habitants. Notons
en outre que la vétusté du charroi automobile réduit l’efficacité des forces de sécurité sur le terrain.
Aussi, le plus souvent en cas d’appel des forces de sécurité pour un éventuel secours, il est
surprenant que la réponse de « pas de carburant » vous soit réservée.
- L’effectif réduit des éléments de la police et de la police militaire pour assurer la protection
de la population : Ceci contraste avec la sur-militarisation de la ville. En effet, au lieu d’affecter les
éléments à la protection de la population, ceux-ci assurent plutôt la sécurité de quelques individus
(élites politico-militaro-économiques), laissant ainsi la population à son triste sort. Par exemple, il
est rare de trouver plus de cinq éléments affectés au bureau du quartier.
- La solde insignifiante payée aux éléments de maintien de l’ordre : Les éléments de la police et
de l’armée ne cessent de se plaindre par rapport à l’insuffisance de leur salaire qui ne leur permet
pas à couvrir les deux bouts du mois, le coût de la vie étant déjà élevé. Cette situation pousse
certains parmi eux de se ravitailler autrement. La population en devient victime.
- La détention des armes à feu non contrôlées par des civils : En cas d’arrestation des voleurs
à mains armées, l’on enregistre souvent parmi eux des civils détenant illégalement des armes. L’on
note donc ici la non-maîtrise des armes légères et petite calibre (ALPC) en circulation dans la ville.
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- La présence des camps militaires au milieu de la population : Il est à noter ici les camps
Katindo et Munzenze qui, au départ, étaient construits en dehors de la ville. Avec l’expansion
actuelle de la ville, ces camps sont déjà encerclés par la population civile. Nous soulignons
également le cas de nombreux militaires et policiers qui logent en dehors des camps cohabitant
chaque jour avec des civils. La sur-militarisation de l’espace entourant l’aéroport international de
Goma et la transformation progressive du Mont-Goma en camp militaire sont aussi à mentionner.
- L’indiscipline de certains éléments chargés d’assurer la sécurité publique : Nous soulignons
ici l’état d’ébriété sous lequel ces derniers prestent. Quand ils sont déjà soulés, la gâchette devient
facile et se transforment eux-mêmes en source d’insécurité
- La prolifération et la reconnaissance tacite des marchés dénommés « Bwaka » : Les biens
volés y sont ouvertement vendus sans peur d’être inquiété. Les victimes des vols n’ont même plus
le droit de réclamer leurs biens y trouvés. Il sied de mentionner que ce sont les femmes des
militaires qui œuvrent en majorité dans ces marchés. Ce phénomène encourage le banditisme au
sein de la ville.
- La prolifération des gangs et des Maibobo (enfants en rupture familiale) : Ces derniers
opèrent dans des milieux populaires où il y a beaucoup d’affaires. Ce qui étonne est qu’il s’observe
souvent une affinité entre les gangs et certains agents de l’ordre.
- L’absence de l’éclairage public sur plusieurs avenues: Seules quelques avenues sont
éclairées. Les endroits non éclairés constituent le foyer des vols sous diverses formes. Notons que
sous le couvert de l’obscurité, et les rues étant déjà désertes, il est plus facile pour les bandits, les
voleurs et les agents de police et de l’armée mal intentionnés de ravir argent, téléphones et autres
biens de valeur auprès de la paisible population.
- La prolifération des maisons de tolérance : Les criminels planifient souvent leurs actions de
banditisme et concluent des accords des transactions dans ces endroits où l’on enregistre la
prostitution organisée, les boissons fortement alcoolisées et les stupéfiants.
- La présence des groupes armés aux environs de la ville : La plupart des personnes victimes
des enlèvements sont orientées vers le Parc National des Virunga où elles subissent des actes de
violence pour que la rançon soit vite versée. En effet, notons que nombreux groupes armés dont
les FDLR rodent autour de la ville de Goma. La ville constitue leur lieu de ravitaillement en divers
produits.
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- L’inaction des réseaux de télécommunication dans la démarche de détection des
kidnappeurs : Les criminels auteurs d’enlèvements utilisent ces réseaux pour que la rançon leur
soit déposée, soit par voie électronique soit par dépôt d’argent liquide à un endroit qu’ils indiquent
par appel téléphonique. Quand la famille victime d’enlèvement entreprend la démarche afin que les
sociétés de télécommunication notamment Orange, Vodacom et surtout Airtel contribuent à la
détection des kidnappeurs, ces dernières n’hésitent pas à déclarer qu’elles n’ont aucune
autorisation pour faciliter cette démarche. Cette attitude crée au sein de l’opinion publique une
suspicion croyant que ces sociétés seraient en connivence avec les réseaux des acteurs de
l’insécurité ;
- L’impunité et le trafic d’influence au sein du secteur de la sécurité : Il s’observe des cas
fréquents des bandits et voleurs à mains armées arrêtés avec des preuves irréfutables, puis libérer
sans aucune forme de procès ;
- RECOMMANDATIONS
Au vu de ce qui précède, la Commission Justice, Paix et Sauvegarde de la Création recommande à l’Autorité
Provinciale de :
- Doter aux forces étatiques chargées d’assurer la sécurité des moyens conséquents permettant leur
mobilité rapide et veiller sur la gestion efficiente du charroi automobile et autres intrants utilisés
dans le domaine sécuritaire ;
- Réorganiser les forces de sécurité en affectant un effectif suffisant des éléments de la police et de
la police militaire à la protection de la population au lieu de les concentrer à la protection de
quelques personnalités (majors, colonels, généraux,…). Les postes de la PNC et des FARDC
situés dans les quartiers de Goma devraient être renforcés ;
- Revoir à la hausse la solde payée aux policiers, aux militaires et aux agents de renseignement pour
qu’ils ne se rabattent pas sur la paisible population. Aussi, procéder à un sérieux contrôle physique
au sein de la PNC et FARDC pour dénicher les éléments fictifs qui gaspillent gratuitement l’argent
du contribuable congolais ;
- Mettre en place un plan d’action stratégique urbain de contrôle et de gestion des armes légères et
petit calibre (ALPC) en circulation incontrôlée entre les mains des civiles (organisation des couvre-
feux, contrôle sérieux des trafics des marchandises aux postes transfrontaliers et des mouvements
des populations,…).
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- Déplacer les camps militaires construits au milieu de la ville en dehors de celle-ci et évacuer tous les
policiers et militaires vivant parmi la population et les mettre sous campement.
- Former adéquatement les agents de la PNC et des FARDC et les soumettre au strict respect de la discipline
pour pouvoir faire son travail efficacement ;
- Procéder à la suppression des marchés dénommés « Bwaka » pour décourager les bandits et voleurs en
mains armés vivant de la commercialisation des biens volés ;
- Mettre en place un programme de réinsertion familiale des Maibobo (enfants en rupture familiale) et
procéder par traquer les récalcitrants ;
- Lutter contre l’insécurité par un investissement important dans les infrastructures urbaines dont l’éclairage
public ;
- Démanteler toutes les maisons de tolérance existantes et décourager par une mesure légale ou
réglementaire leur exploitation ;
- Intéresser les groupes armés opérant autour de la ville à s’intégrer dans le processus de démobilisation,
désarmement et de réinsertion communautaire pour les nationaux et de rapatriement pour les étrangers.
Traquer ensuite par la force les récalcitrants ;
- Elaborer une Loi ou un Edit dans lequel seront engagées les responsabilités des sociétés de
télécommunication en cas de criminalité (enlèvements, escroquerie par réseaux téléphoniques,…)
orchestrée à travers elles ;
- Mettre fin à l’impunité au trafic d’influence sein du secteur de la sécurité ;
- Expérimenter l’intégration de la dimension participative des jeunes civils dans la stratégie de lutte contre
l’insécurité, par exemple former les jeunes et leur permettre d’accompagner les éléments de la PNC et de la
PM dans les patrouilles nocturnes peut davantage rassurer la population ;
- Doter aux cadres de base (chefs de quartiers, chefs de cellule, ….) des outils de communication tels que les
radios motorola,… et les former sur leur utilisation afin qu’ils soient en étroite collaboration avec les forces
de sécurité.
Fait à Goma, le 06 mai 2020
Pour la Commission Justice, Paix et Sauvegarde de la Création
Me KAMBALE SONDIRYA Christian
Coordonnateur